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Création artistique dans un monde anthropisé – L’artiste à l’ère anthropocène, par Jacques Leenhardt

Crédit image : Jacques Leenhardt

Création artistique dans un monde anthropisé – L’artiste à l’ère anthropocène, par Jacques Leenhardt

Ce texte questionne la relation de l'homme à son environnement, à l'ère de l'Anthropocène.

Enfants, nous avons appris qu’existent des civilisations pour lesquelles la nature n’est pas un concept parce qu’elle est tout : moi, l’autre, les champs et la forêt, l’eau qui coule et le soleil qui se couche. Nous avons appris cela comme on lit un conte, avec émerveillement et incrédulité. Pourtant Diderot, dans Le Rêve de d’Alembert, écrivait déjà :

« Tous les êtres circulent les uns dans les autres, par conséquent toutes les espèces… Tout est un flux perpétuel… Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante ; toute plante est plus ou moins animal. Il n’y a rien de précis en nature. Toute chose est plus ou moins une chose quelconque, plus ou moins terre, plus ou moins eau, plus ou moins air, plus ou moins feu, plus ou moins d’un règne ou d’un autre. »

Cette fusion dans la nature s’est réduite, au fil du temps, à une simple rêverie exotique. Nous avons perdu la force d’y croire. Et cependant, ces conceptions apparemment dépassées par l’évolution des savoirs, reviennent aujourd’hui avec un pouvoir interrogatif renouvelé.

La distinction scolastique traditionnelle entre natura naturans et natura naturata qui visait à opposer une nature originelle, généreuse et pourvoyeuse de vie, également nommée Dieu, et une nature définie par les règles de son fonctionnement, a cessé d’exister pour nous. Il est donc illusoire d’imaginer, comme font nombre de discours fondamentalistes, que nous devrions « sauver » cette Nature, conçue comme une entité première et intemporelle. Notre « prudence » – ne parlons pas de devoir – ne peut consister qu’à sauver l’homme en lui rappelant les liens étroits qui l’unissent à la nature comme processus et en fonction de ceux-ci, en lui présentant les obligations qui sont les siennes s’il veut survivre. Oublier cela serait s’en remettre à une illusion paradoxalement anthropocentrique parée des meilleures intentions , sans doute,  mais une caricature de nature néanmoins, une nature repensée et refaite par l’homme.

Le développement des savoirs sur l’environnement, accéléré par des recherches aussi différentes que la paléontologie, la géologie ou la climatologie, nous ont donné une idée nouvelle de notre singularité planétaire et de ses fonctionnements. C’est eux qui ont permis la prise de conscience de l’anthropisation radicale de la planète et suggéré à Paul Crutzen l’idée que nous vivons désormais dans une ère nouvelle qu’il a nommée « anthropocène ». En revanche il est un continent que nous n’explorons qu’à grand peine, et qui pourtant joue un rôle essentiel dans cette partie : les comportements humains. Partie intégrante de la nature, nous sommes, du point de vue du savoir, à la fois sujet et objet de nos observations et cela a des incidences fondamentales sur notre capacité à connaître et sur nos modes de connaissance. Le savoir humain sur l’homme (mais cela est en partie vrai aussi de son savoir sur les phénomènes physiques) se trouve profondément biaisé par le fait que sa relation à son objet n’est jamais de pure extériorité. Lorsque nos institutions scientifiques étudient ce que, par raccourci, nous nommons la « nature », leur objet comprend également des représentations mettant en jeu notre manière de nous représenter notre place dans le monde.

Le rôle des représentations

Sans doute, bien des scientifiques se récrieraient à un tel énoncé. Tous leurs efforts ne tendent-ils pas à écarter ce biais déformant qu’est la subjectivité humaine ? Sans entrer dans les aspects les plus fondamentaux de ces questions épistémologiques, il faut être conscient que, dans l’ordre de la diffusion du savoir, de sa mise en forme donc, le discours scientifique ne saurait obéir aux critères sévères qui régissent les seul protocoles de laboratoire. Dès lors qu’il doit  être communiqué à d’autres qu’aux membres de la communauté scientifique, par exemple aux organismes de décisions, aux Etats qui financent la recherche et finalement au public, le discours scientifique perd en rigueur et en univocité ce qu’il gagne en capacité à être diffusé et à convaincre.

Insister sur cette mise en forme, sur la forme langagière ou imagée que doivent nécessairement prendre les énoncés scientifiques afin de circuler socialement, ne doit pas être perçu comme une volonté de relativiser la rigueur de la science mais de souligner l’enjeu social, parce que communicationnel, de celle-ci.

Il est clair que cet enjeu social s’est renforcé dès lors que les questions d’environnement excédèrent les limites du milieu scientifique qui les avait élaborées. Les raisons en sont évidentes. Les plus grands dangers qui menacent la survie de la planète relèvent de décisions qui concernent soit les instances politiques soit le comportement individuel des citoyens. Il ne saurait donc y avoir de solution purement scientifique des problèmes écologiques. La science donne des indications, elle ne saurait ni contraindre ni même induire des comportements.

Si elle espère cependant influer sur l’avenir, ce qui somme toute est fondamentalement sa raison d’être, cela ne peut être que par la médiation d’une transformation des représentations sociales que les gens se font de leur rapport à la « nature » et à leur propre nature dans l’univers.

Dans cette affaire, la science est prise en quelque sorte à contre pied. Elle s’est construite elle-même et s’est imposée au public comme génératrice de progrès, voire comme une source de vérité, en affirmant sa maîtrise chaque jour plus totale sur la « nature ». Nos comportements et nos manières de penser ont été influencés par cette idée que le progrès humain se construisait sur une maîtrise croissante de l’homme sur les phénomènes naturels. Chacun, même ceux qui ne sont pas scientifiques, s’est pris individuellement pour le porteur de cette idéologie de la maîtrise.

Or aujourd’hui la science vient à nous avec un message qui, sans être contradictoire avec la conception traditionnelle que nous en avons, repose sur des représentations très différentes. Elle nous fait comprendre que ce n’est pas elle seule, du haut de sa maîtrise, qui réglera les problèmes planétaires ; que chacun doit relayer l’esprit de veille et la vigilance critique à son propre niveau.

Il ne suffira cependant pas d’énoncer des obligations car nous avons cessé d’être réceptifs à l’énoncé des « devoirs » depuis que ceux-ci ont perdu leur garantie transcendante ou divine et que notre système économique favorise jusqu’à l’absurde un individualisme intéressé.

Pour que nous puissions nous sentir responsables, il faut que nous ayons produit en nous un scénario, une histoire, un récit qui place les acteurs (nous-mêmes) et les finalités que nous reconnaissons à l’action humaine individuelle et collective dans un rapport construit. À défaut de quoi, nous serons incapables de nous représenter les conditions de notre action, et par conséquent, d’agir et d’exercer cette responsabilité évoquée plus haut. À défaut d’un tel récit, le « devoir » que devrait nous imposer notre raison nous reste inaudible ou abstrait.

La question sociale de l’écologie se pose donc aujourd’hui, si on suppose les questions scientifiques résolues, en termes de capacité de représentation et au plan de la socialisation des possibilités imaginatives. Si notre imaginaire reste stérile face aux enjeux de l’écologie, notre volonté politique de responsabilité restera elle aussi stérile et par conséquent les implications collectives du savoir scientifique demeureront lettre morte pour la collectivité.

C’est pourquoi il est nécessaire de se pencher sur les médiations imaginaires des savoirs écologiques, c’est-a-dire sur la capacité de notre culture à développer un imaginaire autour des questions de l’environnement. Qui nous aidera à devenir des citoyens pourvus d’une conscience à la dimension des enjeux de la planète ? Toutes les formes d’art, des plus traditionnelles aux plus contemporaines, sont à des degrés divers des métaphores. Nous avons besoin de nouvelles métaphores pour faire fonctionner et nourrir un imaginaire social qui doit renouveler son arsenal symbolique, traditionnellement lié à la domination de l’homme sur la nature.

La Biennale de la Fin du monde n’a pas pour but d’annoncer une catastrophe. Les medias s’en chargent à l’heure où le nucléaire, au Japon ou ailleurs, vient nous rappeler qu’il n’est pas de catastrophe naturelle mais seulement humaine. Les tremblements de terre et les tsunamis sont des actes normaux de la nature, même s’ils sont exceptionnels et géographiquement circonscrits. La catastrophe est le résultat de l’accumulation de plusieurs comportements humains erronés. La question à laquelle doivent répondre les artistes qui pensent leur travail dans la perspective de cette Biennale est donc à peu près celle-ci : comment mon intervention participe-t-elle à la construction d’une vision écologique du monde, au sens large de cette expression. Sera-ce en peignant de petites fleurs ? Ce ne serait sans doute pas  suffisant. En agitant le spectre de la pollution radicale et de la mort thermique ? Là encore, le sensationnalisme des medias fait merveille sans qu’on sache s’il est de nature à éveiller la conscience humaine, au-delà de l’hébétude. Ce dont nous avons besoin, ce serait plutôt, je pense, de nous redonner la conscience de la communauté humaine et de sa place dans le fonctionnement global de l’univers. Il y a sans doute mille chemins artistiques susceptibles de contribuer à ce renforcement, et mon rôle n’est pas de donner des conseils aux artistes. Ce sont eux qui doivent puiser dans leur expérience personnelle du monde les racines fertiles d’une compréhension de ces phénomènes, et en faire œuvre. Quand Braque et Picasso sentirent que la complexité du monde requerrait une vision pluri angulaire, ils conçurent le cubisme, quand Breton voulut faire entendre le voix du corps et de l’inconscient, il pratiqua l’écriture automatique, quand Helen et Newton Harrison comprirent que les phénomènes liés à la responsabilité écologique exigeaient une confrontation des rationalités, ils inventèrent la forme dialoguée de l’échange, discursif et plastique, et cela devint The Lagoon Circle.

Nous sommes à l’aube de plusieurs inventions artistiques qui renouvèleront notre manière de nous voir, de nous sentir et de nous penser dans l’univers, et dans ce renversement de la sensibilité, les artistes dont la sensibilité sera la plus aiguë joueront un rôle majeur.

Jacques Leenhardt


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